Laura Sbordoni Mora, célèbre conservatrice de tableaux et de peintures murales, s’est éteinte à Rome, à l’âge de 92 ans. Fréquente collaboratrice et consultante permanente de l’ICCROM, elle a été Restauratrice en chef de l’Istituto Centrale del Restauro (ICR) italien, et s’est activement investie dans le domaine de la conservation pendant plus de 50 ans ; elle était également mon mentor, ma collègue, et mon amie.
Née Laura Sbordoni, elle va être un élément fondamental d’une équipe de proches collaborateurs, parmi lesquels son futur mari et collègue, le restaurateur Paolo Mora, mais aussi l’historien et critique d’art Giovanni Urbani, et le théoricien Cesare Brandi, fondateur, avec Giulio Carlo Argan, de l’ICR, le principal institut italien consacré à la pratique de la conservation, à la fin des années 1930. Ensemble, ils ont joué un rôle essentiel, en tant que chercheurs et professeurs, quant à la mise en place de la pratique de la conservation moderne, et à la promotion de l’image d’excellence de la restauration italienne et des restaurateurs italiens, aujourd’hui reconnue dans le monde entier.
Une partie de cette image est le fruit des fréquents missions et projets conjoints que Laura Mora a entrepris au nom de l’ICCROM : la conservation des églises peintes de Moldavie ou du monastère peint de Piva, au Monténégro, qu’il a fallu déplacer afin d’éviter la construction d’un barrage ; le nettoyage et la consolidation des fresques de la grotte d’Ajanta, en Inde ; la préservation de vestiges archéologiques à Pompéi mais aussi à Mohenjo Daro, au Pakistan ; la consolidation des fresques des églises de Göreme, en Turquie ; l’apport d’une expertise dans le domaine de la restauration du stuc pour des édifice palladiens à Vicence et Padoue, en Italie, et tant d’autres projets qu’il est vain d’essayer de tous les répertorier.
L’influence de Laura Mora s’est également exercée à travers de nombreuses activités de formation et d’enseignement, pas seulement dans le cadre des cours régulièrement tenus à l’ICR mais également dans celui du Cours sur les peintures murales (MPC) de l’ICCROM – lancé en 1975 par Paul Philippot, alors Directeur général de l’ICCROM – cours que les Mora ont aidé à concevoir et mettre en œuvre. Étant donnée la richesse de leur expérience, il était impensable de ne pas documenter et communiquer leurs méthodes à l’intention d’un plus vaste public. C’est ce que les Mora ont fait, en rédigeant et en publiant, avec Philippot comme co-auteur, et en collaboration avec le Comité de conservation de l’ICOM sur la conservation des peintures murales, l’ouvrage précurseur intitulé La conservation des peintures murales (La conservazione delle pitture murali en italien, et The Conservation of Wall Paintings en anglais), paru en 1977.
Née en 1923, Laura Mora entre à l’Istituto Centrale del Restauro juste après la guerre, en 1945. Tôt dans sa carrière, Cesare Brandi l’envoie suivre une formation dans le studio du restaurateur Augusto Vermehren, où elle apprend l’importance de procéder avec minutie à une étude objective des matériaux utilisés dans un tableau, préférablement à l’aide d’un microscope binoculaire, avant la moindre intervention.
C’est un des points sur lesquels son mari et elle ont toujours insisté avec moi, lors de nos fréquentes conversations au fil des ans. Laura et Paolo m’ont toujours répété : « Chère Rosalia, devine ce que tu veux, mais ne parle qu’après avoir touché le tableau. » Ce à quoi je répondais : « Oui, parlons ensemble, le conservateur et l’historien de l’art, après avoir deviné, observé le tableau, et après l’avoir étudié, ensemble si possible. »
L’habileté de leurs mains, et la sensibilité de leur regard, faisaient des Mora des personnes qualifiées pour les travaux de conservation les plus délicats, depuis la restauration d’œuvres d’anciens maîtres comme Fra Angelico et Duccio, jusqu’à celles de maîtres de la Renaissance, comme Raphael, le Titien, et Mantegna. Ensemble, les Mora ont restauré les œuvres de nombreux artistes très importants.
Les Mora étaient également célèbres pour le rôle éducatif extraordinaire qu’ils ont joué, pas seulement auprès des Italiens à l’ICR, mais aussi auprès d’étudiants du monde entier, à travers les cours de l’ICCROM ; pour leur adresse en termes de techniques de nettoyage et de consolidation ; et pour leur méthode, unique, d’approche et de résolution du problème difficile que constitue la restauration et la présentation d’une image.
Le grand talent de Laura résidait dans son aptitude à voir, à saisir immédiatement la problématique de l’objet devant elle, à discuter de la meilleure voie à suivre avec son mari et collègue Paolo, et à guider le regard et l’esprit de ses étudiants, qui étaient très nombreux et répartis dans le monde entier, afin de leur faire comprendre cette manière de travailler.
L’ICCROM et l’UNESCO ont tous deux tiré profit de la volonté des Mora de voyager pour enseigner ou apporter leurs conseils sur des problèmes difficiles. Les Mora ont conduit des missions dans approximativement 36 pays.
Après le départ à la retraite des Mora de l’Institut (d’abord Paolo en 1986, puis Laura en 1988), le Getty Conservation Institute, en accord avec le gouvernement égyptien, leur a confié la gestion et l’organisation de l’un des problèmes de conservation les plus complexes et difficiles au monde : la consolidation et la restauration des peintures murales du tombeau de la Reine Néfertari. C’est le dernier projet qu’ils ont conduit ensemble, avant la mort de Paolo en 1998.
Laura et Paolo Mora ont reçu le Prix ICCROM en 1984, ainsi que la médaille de l’ICOM-CC à Lyon, en 1999.
Laura Mora est décédée samedi 30 mai, des suites d’une longue maladie. Pour reprendre les mots d’un collègue, Paolo Pastorello, elle a été une « autentica maestra nel ridare al bello la bellezza », soit un véritable maître dans l’art de restaurer la beauté des belles choses. C’est, à mes yeux, un hommage tout à fait approprié.
Grazie di cuore Laura.
Rosalia Varoli-Piazza, avec Paul Arenson